C’est le Spécial Police n° 154 vendu au prix de 240 FRS.
Dessinateur 1er plat: Gourdon
Dans la France de 1958, certaines plaies datant de la guerre ne sont pas refermées. Âgé de quarante-quatre ans, Jean-François Roy s’est exilé en Espagne durant treize années. Il fut l’un des plus célèbres pamphlétaires de son temps. À la Libération, on le condamna à mort par contumace pour collaboration, à cause de ses écrits pro-nazis. Roy a subi une opération de chirurgie esthétique, assez peu réussie, avant de rentrer clandestinement à Paris. Il y végète depuis quelques jours, solitaire, n’y retrouvant pas ses marques. Il croise par hasard Fernand Medina, modeste journaliste trentenaire. Celui-ci reconnaît sans mal Jean-François Roy, dont il se dit l’admirateur. Roy hésite, n’ignorant pas que certains anciens résistants veulent encore le buter.
Il recontacte quand même Medina, qui l’invite dans son pavillon de Saint-Cloud. Le journaliste lui présente sa jeune épouse, Emma, qui a vingt ans. Immédiatement, Roy se sent bien dans cette maison, un foyer normal dans un quartier tranquille. Medina lui propose d’habiter chez eux. En échange, puisque Roy éprouve tant le besoin d’écrire, il rédigera une rubrique régulière pour le journal qui emploie son hôte. Plus serein qu’autrefois, Roy retrouve vite la talentueuse virulence de ses écrits d’antan. Il commence par éreinter une pièce de théâtre diffusée à la télévision. Un média qu’il connaît encore mal, mais qui l’inspire. Après ces critiques télé, Roy s’attaque à des sujets de société. Sujets abstraits n’entraînant pas de scandale, mais qui plaisent à l’opinion publique, et au rédacteur en chef. Ainsi qu’à Emma, qui aime son esprit “démolisseur”.
Pour l’heure, c’est Medina qui profite du succès de ces articles forts, puisqu’ils sont signés de son nom. Quand le journaliste est interviewé à la télé, Roy réalise à quel point le falot Medina exploite ses qualités d’écriture. L’explication qui s’ensuit entre eux est orageuse. Roy menace de ne plus coopérer, et même de s’en aller. Medina produit un article fielleux sur l’éventuel retour en France de Jean-François Roy. Un statu-quo est obligatoire entre les deux hommes. Ça ne durera pas longtemps, car un suicide vient changer la donne dans le pavillon de Saint-Cloud…
Il ne s’agit pas strictement d’un huis-clos, puisque des scènes importantes se déroulent en extérieur. Néanmoins, c’est bien dans cette petite maison à l’ambiance apaisante que se noue l’intrigue. Nul besoin d’une flopée de protagonistes pour alimenter une histoire de qualité. Un paria longtemps exilé à Barcelone, un petit journaliste arriviste, une épouse dénuée de sentiments sincères, trois ou quatre personnages suffisent. Encore faut-il les décrire de façon convaincante, ce qui est le cas ici. Par exemple, l’ancien écrivain collabo est présenté tel un homme lucide sur son sort, comme sur son œuvre. “J’ai écrit ce livre, mais je ne l’ai jamais lu, pas même pour en corriger les épreuves. Cette sorte de prose vinaigrée ne supporte pas le fignolage ! On la crache comme du venin. Vous avez déjà vu des vipères s’occuper de leur venin ?” Inutile de le juger, puisque cela a déjà était fait.
Le suspense ne réside pas dans l’ambition de Medina, exploitant la plume de son invité. C’est bien le couple qui est en cause. Entre tranquillité du lieu et tension interne au trio, Frédéric Dard installe un climat très prenant. Grâce, comme toujours, à la fluidité de la narration. Viennent s’ajouter quelques autres éléments, pimentant l’intrigue, bien sûr. Une des belles réussites de l’auteur. Ce roman fut traduit dès 1964 en allemand (Der pavillon in Saint-Cloud) et en espagnol (Una cara como la mia). Peut-être en d’autres langues, aussi.
Chronique de Claude le Nocher
Une critique très élogieuse de ce roman, écrite par Igor B. Maslowski, a paru dans Mystère Magazine n°125 de juin 1958.
Une 2ème édition a vu le jour pour célébrer la sortie du film éponyme sorti en 1960 dont la réalisation, l’adaptation et les dialogues ont été faits par Frédéric Dard. Cette édition a été imprimée par l’Imprimerie Commerciale d’Yvetot et a été vendue à 2,40 NF
En 1959, Frédéric Dard réalisa un film éponyme appelé aussi Gestapo contre X (sorti le 13 juillet 1960) qu’il adapta lui-même de son roman.