C’est le Spécial Police n° 271 vendu à l’époque au prix de 2,40 N.F.
C’est par accident que Philippe Haruet s’est installé en ces lieux aux abords de la vallée du Rhône. De retour en France, plutôt désargenté, il est séduit par cette “gentille cité, vieille mais joyeuse, où la vie avait la couleur et le goût du miel. Les pierres plates des maisons chauffées par le printemps abritaient de petits lézards fulgurants, et les murs semblaient frissonner le long des rues étroites et fraîches.” Philippe est aussi sous le charme de Madalenia, fille du vieux potier Xidos, Grec d’origine. Les deux jeunes gens ne tardent pas à se marier. Ils vont s’installer dans une bicoque au bord de la route nationale. Ils veulent profiter de l’été pour vendre les pots et les vases confectionnés par Xidos. Ce commerce saisonnier s’avère très rentable pour le couple autant que pour le potier.
Alors qu’approche septembre, une dame vient acquérir la propriété attenante, projetant de vivre dans la vieille demeure en mauvais état. Mme Naullin est une femme d’environ quarante-cinq ans, aux cheveux blancs-blonds, au visage trop maquillé faisant penser à un automate, possédant une grosse voiture noire aux airs de corbillard. On peut imaginer que c’est une veuve, ou une divorcée. Elle habitera là avec sa fille Nathalie. Son mobilier est bien luxueux pour une telle masure, rendant le décor étrange. Disant connaître Xidos, Mme Naullin visite son atelier et lui commande une grosse jarre pour son hall, en vue d’y planter un oranger. Elle paie une somme généreuse, par chèque, ce qui est encore peu courrant. Paiement qui entraîne des complications bancaires.
Il n’y a pas que ce chèque, devant être co-signé par son mari, qui pousse le jeune couple à s’interroger sur Mme Naullin. “Avec le recul, je comprends ce qui entretenait notre curiosité, c’était un incontrôlable pressentiment. Notre instinct avait dès le premier jour décelé un danger indéfinissable, et d’autant plus troublant justement qu’il était indéfinissable. Je crois que notre tourment était uniquement physique. L’arrivée de Mme Naullin dans notre univers équivalait à une maladie brutale.” Qu’en est-il de son invisible fille Nathalie. Des vêtements attestent la présence d’une jeune personne. On l’entend chaque jour gratouiller au violon “La danse espagnole” de Falla-Kreisler. Sur la banquette arrière de la voiture noire, cette poupée fétiche appelée Dorothée ne peut qu’appartenir à Nathalie, aussi. Profitant de l’absence de Mme Naulin, Philippe entreprend de visiter sa fantomatique demeure, premier acte d’un drame à venir…
Publié en 1961 au Fleuve Noir, “Le cauchemar de l’aube” de Frédéric Dard reste exemplaire des bons romans noirs de cet écrivain. Sans être un record, belle série de rééditions pour ce livre : chez Presses-Pocket en 1968, au Fleuve Noir vers 1976, chez Presses-Pocket encore en 1988, puis chez Fleuve Noir en 2000. Le réalisateur Abder Isker l’adapta en 1973 pour un téléfilm avec Sylvain Joubert, Danièle Delorme, Catherine Therouenne, Jacques Debary.
Il n’est pas nécessaire d’exagérer les effets spectaculaires pour écrire un roman où plane une inquiétante sensation de mystère et de danger. Il suffit d’utiliser des personnages du quotidien, à peine différents de la population moyenne. Tel serait le message de Frédéric Dard, à travers la plupart des romans qu’il signa à cette époque. Toute la force du récit réside dans son apparente simplicité, qui sert la densité de l’intrigue. La tranquillité du couple Philippe-Madalenia est trop précaire pour que la situation n’empire pas, évidemment. Aucune menace précise n’étaye la tension, et pourtant on sait déjà que cette femme est maléfique, qu’elle ne se trouve pas là par hasard. Comportement bizarre et maison lugubre, folie peut-être. Lu cinquante ans plus tard, c’est également un témoignage sur le contexte de l’époque. Assurément, voilà un des titres de Frédéric Dard à redécouvrir.
Chronique de Claude le Nocher