Chers amis de Frédéric Dard, bonjour
Pour s’évader un moment de la réalité coronavirusienne, passer un peu du temps de confinement en (re)découvrant des œuvres d’art picturales est un bon choix.
Frédéric Dard aimait beaucoup la peinture et je vous invite à partager sa passion pour les artistes qui l’avaient marqué.
« Je considère Magritte autant comme un philosophe que comme un peintre. Car c’est l’idée qu’il exprime qui est géniale, sa peinture étant son écriture ». « Il a peint sa philosophie, toute cette notion de l’absurde, toutes les questions troublantes de l’existence, il les a concrétisées sur des toiles comme L’Empire des lumières ». Ainsi s’exprimait Frédéric Dard dans deux entretiens, l’un en 1973 dans le journal La Suisse et l’autre en 1995 dans le cadre de l’émission Un siècle d’écrivains.
Cette passion pour le surréalisme de Magritte s’exprime encore lorsqu’il choisit le tableau « Le Poète Récompensé » pour illustrer la couverture de son recueil de nouvelles « Histoires déconcertantes » paru en 1977. Je vous recommande aussi de lire ou relire ces vingt nouvelles dont l’une porte d’ailleurs le titre de ce tableau qui faisait partie de la collection personnelle de Frédéric Dard.
Il dédiera aussi un San-Antonio en 1999 à la mémoire de René Magritte, l’un des génies de ce siècle. Son titre « Ceci est bien une pipe » est un formidable clin d’œil au tableau de Magritte dénommé « La trahison des images » plus connu sous le nom de « Ceci n’est pas une pipe ».
Un point commun reliera bientôt Magritte à Frédéric Dard puisque La Poste a émis en 1998 un timbre en souvenir du centenaire de sa naissance et que ce sera bientôt chose faite pour Frédéric.
L’attrait de Frédéric Dard pour les œuvres d’art s’est manifesté très tôt.
Lorsqu’il a démarré sa carrière en tant que journaliste à Lyon, il a couvert de nombreuses expositions de peinture, fait des reportages sur des galeries d’art et côtoyé des artistes peintres dont certains sont devenus des amis.
C’est notamment le cas de Paul Philibert Charrin pour lequel il a d’ailleurs dédicacé son recueil de dessins STO, de François Robelin, peintre roannais, ou encore d’André Cottavoz dont il choisira un dessin qui illustrera la 2ème édition des Pèlerins de l’enfer.
Plus tard en 1971, il écrira un texte élogieux de deux pages dans le catalogue de la galerie Kriegel consacré à Cottavoz avec des photographies de l’artiste et de ses peintures en noir et blanc et en couleurs. Ce texte servira d’ailleurs de préface au très beau livre de Bertrand Duplessis « Cottavoz » paru en 1991.
Vous trouverez ci-dessous un portrait de Frédéric Dard réalisé par cet artiste et qui fait partie du catalogue Kriegel.
En 1973, il confie dans un entretien accordé à Mystère Magazine qu’il est dingue de peinture et fasciné par un peintre italien hyper réaliste Domenico Gnoli mort d’un cancer en 1970 à 37 ans et qu’il va s’offrir la fantaisie d’écrire un livre qui s’intitulera « Sous le regard de Gnoli ».
Ce livre ne verra malheureusement jamais le jour, probablement par la difficulté qu’il y avait un livre entier sur ce sujet. Mais ne vous privez pas pour autant de découvrir les toiles de ce peintre qui sont visibles sur internet.
En 1999, dans un vibrant hommage rendu à Albert Sauteur, Frédéric exprime ce qu’il ressent en admirant une toile : « On reçoit la peinture comme on reçoit un être humain. Elle en a la présence et la force…. Chaque toile que je rencontre a pour moi la magie et l’intensité d’une présence humaine, d’instinct je cherche à l’aimer et à me faire aimer d’elle, la peinture possédant la charge émotionnelle d’un être vivant ».
Je vous encourage vivement à admirer les huiles peintes et les lavis de ce peintre de natures mortes comme le verre dans un billard.
Dans ce tour d’horizon des peintres sur lesquels Frédéric Dard a écrit, j’ai gardé un des plus importants pour la fin. Je veux parler d’Albert Dubout, dessinateur et peintre de grand talent.
Il illustra quatre San-Antonio Hors-Série : L’Histoire de France, Béru-Béru, Les vacances de Bérurier et le Standinge . Frédéric Dard lui exprima son admiration et sa vénération à de multiples reprises, notamment dans la préface du livre de Michel Mélot – Dubout : Le monde à l’envers ou l’envers d’un monde ? -, puis dans celle du coffret Dubout : L’œuvre secrète ou encore dans le catalogue du musée Fabre de Montpellier consacré à cet artiste paru en 1977.
Mais le plus étonnant est l’histoire que Frédéric a raconté à Francis Gillery et François Rivière lors de la préparation de l’émission « Un siècle d’écrivains » en 1995.
Dubout, qui n’aimait pas trop quitter le hameau qu’il habitait dans le Vexin, est quand même venu un jour chez Frédéric Dard et, au cours de la conversation, il apprend à Frédéric qu’il fait aussi des peintures. Frédéric raconte :
« – Ah oui ! je lui dis : Montrez-moi vos toiles
– Je peux pas parce qu’elles sont à la banque place Vendôme. J’ai loué un grand coffre et toute mon œuvre est dans ce coffre place Vendôme. Mais un jour, j’irai les voir. Je vous appellerai.
J’ai cru que c’était un truc farfelu, comme ça, un de plus de lui. Et, un jour, je reçois un coup de fil de Suzanne Balivet qui me dit :
– Dard, est-ce que vous voulez venir voir les toiles d’Albert ? Alors rendez-vous demain à deux heures, place Vendôme.
A deux heures, place Vendôme, j’étais là, il m’attendait. Salle des coffres : impressionnant, une cathédrale souterraine, une église troglodyte, dans ses tôles, la salle des coffres. Le préposé nous amène devant un coffre-fort grand comme cette chambre à peu près, je savais pas qu’il en existât d’aussi gigantesques. Alors il ouvre et à ce moment-là Dubout tombe la veste, il roule ses manches de chemise, et le voilà parti ! Il plonge dans le coffre-fort et se met à faire une exposition dans la salle des coffres. Il avait des merveilles, c’était presque toutes des corridas. Il y avait des corridas qui étaient absolument époustouflantes. Il y avait vingt mille personnes, c’est grandiose, et il les présente comme ça, appuyées sans vergogne sur les coffres voisins.
Quand il a eu fini de faire ça, sa chemise avait remontée, elle était sortie de son pantalon à faire de la manutention. Alors que fait Dubout ? Il dégrafé son pantalon, il le baisse et – c’était un dessin de Dubout – il portait des caleçons longs et des fixe-chaussettes. J’avais connu ça dans mon enfance, mon père en mettait aussi. Mais à ce moment là on entend un bruit de pas et surgit dans l’escalier de la salle des coffres l’employé qui nous y avait descendus et une dame. Mais une dame fortunée, « envisonnée » très haut de gamme, si j’ose dire, qui s’arrête, pétrifiée en voyant cette salle des coffres qui était transformée en exposition et un petit monsieur jaunâsse qui était déculotté et qui remettait son pan de chemise comme ça. L’employé, le préposé dit :
– Madame, c’est M. Dubout, vous savez le dessinateur Dubout, et la bonne femme très digne qui passe.
Elle, c’était un personnage de Dubout. Il avait déjà croqué cinquante mille fois cette dame dans ces dessins » !
Donnez-vous en à cœur joie, regardez sans limites les tableaux et les dessins de Dubout, c’est un très bon remède à la morosité ambiante.
Avant de vous quitter, je voudrais aussi vous signaler la sortie en mai du tome 4 des Cahiers de Frédéric Dard qui aura pour titre Le Musée imaginaire de Frédéric Dard. Cet ouvrage associera les citations de San-Antonio aux représentations des œuvres d’art auxquelles il fait référence. Cela vous permettra donc, dans la continuité de cette Newsletter, d’encore mieux connaitre le grand amateur d’art qu’était Frédéric Dard.
Prenez soin de vous. Restez chez vous et profitez de cette période de confinement, qui ne sera que temporaire, pour lire et relire les œuvres de votre écrivain prolifique préféré.
Lionel Guerdoux