Fleuve noir Spécial Police n°321
Prix : NF 2,40
Dessinateur 1er plat : Michel Gourdon
« Si vous avez des enfants et si vous êtes tatillons sur leur éducation, je ne vous conseille pas de les envoyer à l’école de « Grangognant-au-Mont-d’Or ».
Et cela pour deux raisons : la première est que ce paisible village de la région lyonnaise est actuellement le siège d’un drame qui bouleverse toute la France, les « gones » y disparaissent les uns après les autres et l’on assassine les maîtres d’école.
La deuxième raison est que le nouvel instituteur a pour nom Bérurier !
Je ne vous en dis pas plus !
En 1962, Grangognant-au-Mont-d’Or est une ravissante commune rurale de quatre cent habitants située à une trentaine de kilomètres de Lyon, dans les vignobles. Bien moins pittoresque, on y commet des actes criminels. Élève de l’école primaire, Jean Charron a disparu. Puis c’est l’instituteur qui a été égorgé. Son cadavre a été découvert le lendemain par sa jeune et timide collègue Rosette. Un second élève, Louis Dubois, a disparu à son tour. C’est l’inspecteur de police Bérurier, de la PJ parisienne, qui est chargé de résoudre l’affaire par son supérieur, le Vieux. Il se fera passer par le nouvel instituteur, même si ses méthodes ont peu de chances d’être approuvées par l’Académie. Bien qu’en vacances, le commissaire San-Antonio va, avec la bénédiction de sa brave femme de mère Félicie, aider l’inculte Bérurier à mener à bien sa mission.
San-Antonio trouve bientôt une photo pornographique dans le cahier d’un élève. Cette image licencieuse provient de chez une ancienne cantatrice, possédant une propriété dans ce village. Voilà qui attise la curiosité du commissaire. Mme Léocadie Soubise, chanteuse très âgée oubliée de tous, reçoit ce jour-là un douteux groupe de Lyonnais, lui offrant une partouze en guise de spectacle. San-Antonio se fait passer pour un impresario, dans le but d’approcher Léocadie Soubise. Sans doute est-il repéré, car une grenade ne tarde pas à viser la classe de l’école où le policier se trouve avec l’institutrice Rosette. Néanmoins, San-Antonio accompagne ensuite la cantatrice et ses amis à Lyon. La soirée au cabaret Le Mistrigri, appartenant à l’ami Arménien de Mme Soubise, n’a rien de folichonne. Avant que le policier raccompagne la cantatrice au village, elle est assassinée en voiture.
San-Antonio peut compter sur l’aide de l’inspecteur lyonnais Javer, de service cette nuit-là. Récupérant sa Jaguar (type E), il est plus à l’aise pour débuter son enquête. L’Arménien ne pourra pas le renseigner, vu qu’il est rapidement abattu. L’électrophone tourne-disque trouvé dans son coffre-fort devait servir à planquer quelque chose. Les filles du Mistigri, Berthy et Marysca, en savent probablement moins que le fêtard Léopold, ami du défunt Arménien et de feue-Mme Soubise. San-Antonio lui met la pression afin qu’il avoue à quels trafics il est mêlé, et qu’il cite des noms. Un autre complice, Jérôme, est supprimé à son tour, pendant ce temps-là. Une inconnue fixe un rendez-vous dans un bois de Limonest, à quinze kilomètres au nord de Lyon. Malgré Bérurier et l’équipe de l’inspecteur Javer, la souricière policière ne fonctionne pas. Bien que fatigué, San-Antonio ne renonce jamais…
San-Antonio évolue dans une région bien connue de son auteur. En effet, alors qu’il était journaliste autant qu’écrivain débutant, Frédéric Dard travailla à Lyon. Il s’y installa avec sa famille dans le quartier de la Croix-Rousse de juillet 1944 à mars 1949. D’ailleurs, il en profite pour citer et expliquer ici certaines références lyonnaises. Les équevilles (ordures ménagères), les portes d’allées (porches d’immeubles), péter la miaille (embrasser avec effusion), être tout mouillé de chaud (en sueur), on espère que ces expressions typiques ont survécu depuis un demi-siècle. Si Grangognant-au-Mont-d’Or est inventé, c’est un de ces villages d’alors avec son école primaire non-mixte, son bureau de poste où l’employée raccorde les appels téléphoniques. Et son café de la mairie où son Éminence l’inspecteur Bérurier va largement abuser du beaujolais, goût du terroir oblige. Et comme enseignant, il va se distinguer le tonitruesque Béru. On est en plein dans l’univers de San-Antonio.
Le style de Frédéric Dard est bien en place. En témoigne ce portrait: “Le suiffeux est à poil devant la porte de fer donnant sur l’entrée de l’immeuble… Tout en étudiant la question, il se gratte le dargeot. Je ne veux pas vous berlurer, mes mignonnes, mais le spectacle est de qualité. Ça vaut son et lumière à Versailles, croyez-moi. À loilpé, Ambistroyan [l’Arménien] fait plus gros qu’habillé. Il a la brioche ronde et tombante. Avec ses tifs gras décoiffés et sa barbe du petit matin, il ressemble à un gorille obèse.”
Quant à l’intrigue, on est dans un roman populaire d’aventure, une enquête bondissante et périlleuse. L’auteur n’oublie pas d’évoquer les classiques du genre, Fantômas (“Je me précipite. Effectivement, c’est bien l’entrée d’un souterrain. Alors là, on est dans un vieux Fantômas d’avant l’autre guerre, mes chéris. J’y peux rien, faut vous y faire”) et Arsène Lupin (“Le bouchon de cristal ! Quézaco ?”). En cette période de sa vie, Frédéric Dard est très inspiré, ça ne fait aucun doute. Et le résultat est excellent.
Le Blog de Claude LE NOCHER
Ce roman, qui mêle avec talent action et humour, a fait dire au critique bien connu Igor B. Maslowski, qu’il était hors cote à tous points de vue. (voir Mystère Magazine n°181)